Introduction
-- Operacion PAÍS Comtal/Lot/Truyère 2022 / Gabriac --
Témoignages, tranches de vie, histoires, savoir-faire... En 2022, l'équipe de l'Institut occitan de l'Aveyron a parcouru le territoire s'étendant de La Loubière à Saint-Hippolyte (21 communes) à la rencontre de plus de 240 locuteurs occitans.
-- Operacion PAÍS Comtal/Òlt/Truèire 2022 / Gabriac --
Testimoniatges, tròces de vida, istòrias, saupre-far... En 2022, la còla de l'Institut occitan d'Avairon s'es passejada sul territòri que va de La Lobièira a Sent-Ipòli (21 comunas) al rescontre de mai de 240 locutors occitans.
Vidéo
Geneviève GUIRAL
née FIRMIGNAC en 1948 à Rodelle. De Gabriac.
Transcription
Occitan
Français
Pas de transcription pour le moment.
« Bonjour Madame !
– Bonjour !
– Comment vous appelez-vous ?
– Geneviève Guiral.
– Et votre nom de jeune fille ?
– Firmignac.
– Firmignac. Et quand êtes-vous née ?
– 21 novembre 48.
– 48, et ici ?
– Non, Rodelle.
– Et à Rodelle, dans le village ?
– Non, non, non, paroisse de de Fijaguet.
– Comment s’appelle l'endroit ?
– Rusquières.
– Ah... bien. Vous pouvez nous dire ce que vous avez fait dans la vie ?
– Pas grand-chose… Après l’école je suis partie travailler cinq ans à Paris et après, quand je me suis mariée, je suis revenue m’occuper du bétail.
– Vous êtes venue ici, à Gabriac, après le mariage...
– Oui, après le mariage.
– L’école, c’était à Fijaguet ?
– Petite, oui, et après à Rodez, au Sacré-Cœur à Rodez.
– Ah oui…
– Après comment vous est venue l’idée de monter à Paris ?
– Parce que j’avais été malade une année et après je n'ai pas eu l'envie de réattaquer. Je suis partie chez un oncle pour travailler dans le commerce.
– C’était un café ?
– Café, tabac, PMU. Tout ce qui était aux Aveyronnais.
– Et lui, il était monté beaucoup plus tôt, l’oncle ?
– Ah oui ! Oui, oui, oui, oui ! Il y avait plus d’un magasin à Paris, plus d'un commerce plus exactement.
– Et vous savez quand il était monté ?
– Quand il s’est marié, donc c’était en 46, 47, je ne sais pas...
– Après la guerre.
– Oui, oui, oui.
– Vous pouvez nous expliquer pour quelle raison tout le monde partait comme ça à Paris ?
– Par obligation. Que voulez-vous qu’ils fassent ? Sans des familles où les propriétés, les fermes, n’étaient pas trop grandes, il fallait travailler.
– Et des filles, il y en avait beaucoup qui montaient, comme vous ?
– Oui, oui, à cette époque c'était l’adresse directe. Et puis, en se le disant d’une à l’autre, elles trouvaient du travail, donc voilà.
– Dès que vous étiez là-haut, il y avait du travail.
– Oui, oui, de suite. Elles avaient du travail même avant de monter.
– Et pour le logement ?
– Pas de souci, il y avait toujours quelqu’un qui avait une pièce, une chambre…
– C’était la solidarité, ça…
– Oui, oui…
– Et votre oncle avait un café ? Un restaurant aussi ?
– Non, tabac, PMU, café, oui.
– Et vous, vous y êtes restée un moment, là ?
– Presque cinq ans.
– Et après, vous êtes descendue ?
– Oui.
– Vous n’avez pas eue l’idée d’y rester, là-haut ?
– Moi, si !
– Ah ?
– La pièce rapportée, non…
– Ah oui mais ça vous aurait plu de…
– Oui.
– Et pourquoi ?
– J’aimais les gens et je vous dirais que ce qui m’a le plus manqué quand je suis venue ici, c’était les gens. Plus d’une fois, disais-je : “Si j’osais, j'irais la remise, au carrefour, pour voir passer du monde !” Le contact avec les gens, ça c’était…
– Et le commerce.
– Oui.
– C'est comme ça...
– Oui, oui, oui.
– Alors vous êtes descendue ici, il y avait une ferme ici ?
– Oui !
– Comment était-elle, la ferme ?
– Comme elle était...
– Elle était grande ? Qu’est-ce que vous produisiez ?
– Non, moyenne…
– Qu’est-ce qu’il y avait ?
– Il y avait des vaches et des brebis.
– Les deux.
– Les deux. Et quand nous nous sommes mariés, nous avons commencé à traire. Moi qui ne savais pas traire, je n’avais jamais touché une brebis... Il fallait tenir les brebis et traire… Ce n'était pas très bien... Enfin, bon...
– Ça s’est fait !
– Par la force des choses.
– C’était pour Roquefort ?
– Oui.
– La laiterie était…
– Au début… Ça a changé plus d’une fois. C'était surtout pour Roquefort mais ça partait au Massegros, après ce fut Coulet à Sébazac, mais avant il y avait eu de petites laiteries qui ramassaient le lait pour d'autres.
– Et les vaches, c’était pour la viande ou pour le lait ?
– Oui.
– Pour la viande, le veau…
– Oui.
– Et à Fijaguet, comment était la ferme de votre papa et de votre maman ?
– À peu près … Peut-être pas tout à fait aussi grande mais il n’y avait que des vaches.
– Il n’y avait pas de brebis...
– Non. Ce n'était pas un terrain à brebis.
– Vous avez des souvenirs du temps de votre enfance quand votre mère était à la ferme ? Comment c’était ? Que fallait-il faire ? Le travail d’une femme, comment c’était ?
– Ma mère, elle allait souvent travailler dehors, aider mon père. C’était ma grand-mère qui faisait la soupe. Comme dans beaucoup d'endroits. Et puis, nous étions six pour faire les imbéciles…
– Six enfants ?
– Oui !
– Alors, il y avait du travail !
– Il y avait du travail, il y avait du bruit, il y avait des bêtises de faites... Enfin jamais méchantes mais enfin bon…
– Est-ce que, pour une femme, il y avait des journées qui étaient lourdes, dans l’année ? Les battages, peut-être...
– Oui... Faire les gamelles un peu plus grosse, sûrement, mais bon...
– La lessive, peut-être...
– Oui, aussi… Quand il y avait le grand linge à faire sûrement que… Moi, je ne m’en souviens pas tellement.
– Et le cochon ?
– Oui, ça aussi… Moi je n'aimais pas ça, alors...
– Vous étiez plus faite pour le commerce.
– Je ne sais pas pourquoi j’étais faite mais…
– Et est-ce que vous pouvez nous dire comment vous avez appris à parler la langue occitane ?
– Ah ! Ça fait longtemps que je le comprends parce que mes parents parlaient patois avec mes grands-parents, mais moi je l’ai surtout appris à Paris.
– Ah bon ?
– Eh oui ! Quand j’étais dans le commerce et qu’on ne voulait pas trop se faire comprendre par quelqu'un, on parlait en patois.
– Avec votre oncle ?
– Avec mon oncle et il y avait aussi un employé qui le parlait aussi.
– C’est comme ça que vous l’avez le plus pratiqué.
– Voilà. Après, je l’ai appris un peu comme je pouvais, mais bon, bien ou mal, j’ai appris à peu près.
– Ça fait que quand vous êtes entrée à l’école, vous aviez déjà le français.
– Oui, oui….
– Et est-ce que vous en avez vus qui arrivaient à l’école sans savoir le français ?
– Une seule famille sinon non, nous savions qu’il fallait parler français à l’école, donc…
– Vous avez entendu dire que dans le temps les enfants étaient punis ?
– Oui.
– Qu'en disaient-ils ?
– Rien. Ils attrapaient une punition ou un coup de règle sur la tête et terminé !
– Vos parents l’avaient vécu, ça ?
– Mes parents n’en ont jamais parlé. À l’école, ils devaient parler quand même un minimum de français.
– Est-ce que vous pensez que cette langue pourrait mourir ?
– Sûrement… À partir du moment où personne ne la parlera…
– Et vous, vous avez l’occasion encore de la parler ?
– Non… Pour dire une bêtise mais c’est tout.
– Avec des voisins peut-être...
– Non. Monsieur Bessière, on ne parle pas patois entre nous...
– Il faut commencer !
Et est-ce qu’il y avait dans la famille, des gens, ou dans la famille de votre mari, qui avaient fait la guerre de 14 ?
– Les grands-pères.
– Ils sont revenus ?
– Oui. Un oncle est resté à Verdun, mais les autres sont revenus blessés.
– Un frère de votre pépé.
– Oui.
– Et le pépé est revenu.
– Oui.
– Et il en parlait un peu ?
– Non. Il n’en parlait pas. Non, non. Celui dont le frère était mort n’en parlait pas, l’autre qui était revenu blessé n’en parlait un peu plus, mais peu.
– Et la guerre de 40 ?
– Après c'était plus des oncles mais, la guerre, ils n’en parlaient pas.
– Non…
– Non.
– Et de ce qui s’était passé au pays, quand il y a eu des accrochages avec le maquis ?
– Non mais ici c’était des coins plus tranquilles. C'est pas comme...
– Et l'affaire de La Quille*, on en parlait ou pas ?
– Je n’en avais pas entendu parler avant de venir ici, alors... limité.
– Et la guerre d’Algérie ?
– J’ai des oncles qui l’ont faite, mais bon, pareil, ils n'aimaient pas parler de la guerre, ils n’en parlaient pas.
– Bon alors nous allons faire le jeu des souvenirs. Est-ce que vous vous souvenez d’une grosse bêtise que vous auriez faite, petite, à Fijaguet, là-bas ?
– Je n’ai jamais fait de grosse bêtise, je ne sais pas, non, non…
– Avec vos frères, vos sœurs…
– Non, pas de grosses bêtises, des fois nous faisions des cabanes quand nous sortions de l’école par le chemin, parce qu’on avait une heure de chemin, à pied…
– Une heure !
– Ah oui. Nous faisions des cabanes dans les arbres par ici, dans un coin. On passait du temps là et après il fallait courir parce qu'on se faisait disputer en arrivant… Sans ça… Eh oui, il y avait presque trois kilomètres et demi.
– Et à midi ?
– À midi, nous allions manger chez une tante qui n’était pas trop loin et elle nous faisait manger, voilà.
– Est-ce que vous avez en tête un goût ou une odeur de l’enfance ? Quelque chose qui était bon ou qui n’était pas bon…
– Si, mais ça ne me revient pas.
– Quelque chose que vous n’avez plus mangé de votre vie… Ou quelque chose que faisait votre mémé …
– Les grands-mères faisaient tellement de choses que je ne me souviens pas… Il n’y a rien de précis parce que tout était...
– Tout était bon.
– Oui, oui. Je ne me souviens pas de quelque chose…
– Le chou farci...
– Oui, mais que ça dure encore, le chou farci.
– La tarte aux prunes.
– Ah la tarte aux prunes, oui, les grosses tartes quand on faisait les battages mais ça se fait encore, alors bon...
– Et la première fois que vous avez senti le vent de la liberté, dans votre vie ?
– Ouh là ! Je me suis toujours sentie libre, parce que j’étais un peu têtue, un peu revêche comme on dit, mais bon…
– Revêche…
– Revêche, un peu...
– Peut-être quand vous êtes montée à Paris, que vous avez gagné votre première paye ?
– Oui, mais bon, pas plus qu'ailleurs parce que j'étais retenue par le travail donc…
– Je ne vous ai pas demandé tout à l’heure, quand vous étiez là-haut, vous avez participé un peu à la vie des amicales et tout ça ?
– Pas beaucoup, je travaillais le dimanche, moi…
– Il n’y avait pas de temps ?
– Il n’y avait pas la contestation !
– Et les bals qu’il y avait, comme ça, avec les Aveyronnais ?
– Pas souvent ! De temps en temps mais pas souvent, non, non… Nous faisions plus les ânes en revenant ici mais bon, voilà.
– Vous pensez que la vie là-haut a conservé des choses ? Les danses, la musique peut-être ?
– Je pense que c’est un peu folklorique. Je ne sais pas si beaucoup de choses se sont conservées. Oui, peut-être un peu, mais ce n’est pas du tout comme c’était.
– Et vous y êtes retournée, vous, à Paris ?
– Quand il y avait mes filles à Paris, je montais de temps en temps pour voir les petits-enfants et faire quelques promenades, c'est tout.
– Et voir des gens !
– Voilà !
– Bon, est-ce que vous avez envie de raconter quelque chose sur Gabriac, peut-être sur la foire aux chevaux ?
– Je n’y suis pas allée très souvent. Je ne suis pas chevaux du tout.
– Le pèlerinage là-haut à la chapelle, ou à la croix du Rouquet ?
– Je ne sais pas si ça marche toujours, Le Rouquet, parce que nous avons pris la grêle hier, avant-hier... Soi-disant que ça protéger de la grêle la paroisse de Saint-Affrique et le coin. Je ne sais pas si c’est encore bien efficace...
– Peut-être qu’il nous faut y aller à genoux !
– Les genoux sont raides maintenant !
– Vous êtes née à Rodelle, il y avait sainte Tarcisse. Et est-ce qu’il y avait une légende sur sainte Tarcisse ? Qu’en disaient les gens ? Qu’est-ce qu’elle était cette sainte ?
– C'était une princesse que le père voulait marier avec quelqu'un dont elle ne voulait pas. Elle est partie parce que, je crois, elle voulait entrer au couvent... Elle s’est enfuie et elle a trouvé cette grotte pour se cacher. Il y avait une chèvre qui venait de Rodelle pour venir se faire traire et elle s’est nourrie avec le lait de la chèvre et il y avait un chien qui amenait un peu de pain.
– Pour quelle pathologie est-elle bonne l’eau de sainte Tarcisse ?
– Pour les yeux.
– On sait pourquoi ?
– Parce qu’elle contient du nitrate d’argent, quelque chose comme ça, comme le collyre, voilà.
– Il y a encore une activité, un pèlerinage ?
– Oui, le premier dimanche de septembre. Ça marche avec la fête de Saint-Julien.
– De Rodelle.
– Oui.
– Dernière question, avant de faire le “Cossí dire ?”, l’affaire Boudou*, vous vous souvenez, ce type qui a tué des gens, vous en avez entendu parler ?
– Oui, oui, oui, ça nous faisait peur ! Nous étions petits mais vous savez qu'on fermait les portes ! Ça nous faisait peur, on ne comprenait pas tout et puis on en a raconté des…
– Qu'est-ce qu'ils disaient, les gens ?
– Moi, ce dont je me rappelle le plus… Parce que bon, il tuait les gens, il cachait l’argent dans un châtaignier troué et il allait chanter à l'enterrement ! Voilà ! C’est de ça dont je me souviens le plus.
– Et à la maison, ils avaient peur ?
– Sûrement. Moi j'étais un peu plus loin, j'en entendais parler mais ceux qui étaient ici un peu plus proches, sûrement. »
* Voir livre País 02.
(Traduction d'Alain Clarac, de Figeac (46), le 01/05/2025, dans le cadre de l'attelier de traduction du Centre culturel occitan du Rouergue)