Poème en occitan sur le Jugement dernier, vers 1606-1607

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Introduction

Poème en occitan sur le Jugement dernier, vers 1606-1607

Archives départementales de l’Aveyron 2 E 222-1, en tête du registre paroissial de 1607-1626

Transcription de Jean Delmas :

1 Al jour del jutjamen parera
Qu’a Dieu service fach aura.
Ung rey venra perpetual
Del cel, qu’on non vic ung ayta[l].

2 Del cel venrra lou Filh de Dieu
Comme faguet son Ascentieu.
Del cel venrra certanamen
Per fa del monde jutjamen.

3 A la valea de Josaphat
Sera tout lou monde judjat.
Aqui randra cadu rasou
Tant lou juste que’l peccad[ou].

4 Del judjamen las tout ung an
Parera ung signe moult gran.
La terra gittera susour
Et tramblara de grand paour.

5 … endra del cel arden
… nes moult…
[bas de page déchiré]

7 De moury sera tout la-talen
Adonc nous glatirau las dens.
Adonc non sera res, mas plours
Las que farau lous peccadous.

8 Tant grans era lou marrimen
Et las [doulours,
rayé] tristaces de las gens.
Que plourarau per lours peccatz
Quant penitence nou an fach.

9 Lous enfans que natz nou seran
Dedins lou ventre cridaran
En clara voux molt altamen :
“Marce a Dieu omnipoten !”

10 Un corn moult triste [re]sonara
Del cel qu’un chascun ausira.
Soleilh [et rayé] luna s’escursira
Aucun[a] stela nou lusira.

11 Adonc un angel cornara
Dessus de l’ayse on sera :
“Venes, venes,communamen
Venes touxes al [jutjamen]”.

[manquent deux strophes, le bas du feuillet étant déchiré]

14 Adonc s’en bayrau moult fort
Sans esperance ny confort.
[Que r
ayé] moustrarau an lours [rajouté en interligne] crix et plours
Las infernales confusious.

15 Adonc nou fas on res tant secret
Ny nou diguet ny sou pesset
Que aquy nou sya tout clar.
Degus nou pouyra res salar.

16 Puechs et combas seran egalz
Asuy seran lous bous et malz,
Rey,ductz, contes amay barous
Que de lours factz randran rasou.

17 Dieu venrra en sa majestat
Iutja lou monde en veritat.
Adonc cadu randra rasou
[Ecrit en marge : a un cadun]
Celon sous factz lials et bous.

18 Adonc dira Dieu doussamen
A els qu’iran a salvamen :
“Aras venes a me belz filz
Car sourtix ses de grands perils”.

19 Als altres dira incontinen
A els qu’iran a perdemen :
“Las portas d’infern intrares
Que jamay nou vou’n sourtires”

20 Aquel Seignhour que nous form[et]
Et que de la Vergis nasquet
Nous garde des peccatx mortalz
Et de las penas infernals !

Fin.

Vocabulaire :

1 parera : paraîtra
perpetual (m.A.) : perpétuel, éternel

vic : vit
2 Ascentieu
(m.A.) : Ascension
3 Valea de Josaphat : v
allée de Josaphat
4 moult : t
rès, fort
7 la-talen pour l’atalent
(m.A.) : désir, envie
adonc :
donc
glatiran :
claqueront
8 marrimen :
affliction
tristaces :
tristesses
9 altamen :
hautement
marce :
merci, grâce
10 corn :
corne, cor
s’escursira :
s’obscurcira
aucun’stela :
l’auteur avait d’abord écrit aucuna stela
11 cornara :
sonnera (en parlant de la corne)
ayse :
endroit, place
14 s’en bayran
(m.A.) : s’en iront
15 salar
pour celar : cacher
16 ductz :
ducs
amay :
et aussi
18 doussamen :
doucement
salvamen :
salut
sourtix
pour sourtitz : sortis
19 perdemen :
perte
vou’n
pour vous en

Analyse de Jean Delmas :

Les strophes de l’original sont numérotés de 1 à 11 (manquent, du fait de la déchirure signalée dans l’édition une partie de la strophe 5, la 6, les strophes 12 et 13). Le poème couvre trois pages, soit les fol. 1 et 2 r°. Le verso du fol. 2 porte des notes de mariage ; le fol. 3 des notes de propriétés de divers prêtres, des essais de plumes, une formule d’attestation de mariage de 1632 ; le fol. 4 des notes de dépenses et des essais de plumes ; le fol. 5, le “Rolle tant des baptisés, trespassés, que mariés commencé l’an 1607 par moy Jean Albspeyres, recteur de la présente parroisse Saint-Chély, en foy de quoy Albespeyres recteur susdict”. Ce pourrait être l’auteur du poème, à moins que ce ne soit Galhardy (1606) ou “Cabanettes, prêtre et bon enfant”, dont on lit également les noms.
On lit vraisemblablement ici une œuvre originale, comme semblent de prouver les hésitations et les corrections de celui qui l’a écrite : strophe 8, remplacement de doulours par tristaces pour obtenir huit pieds ; strophe 10, rajout de re avant sonara et maladroites suppressions de et et du a de aucuna pour les mêmes raison ; strophe 14, suppression de que et rajout de lours ; strophe 17, essai de remplacement de Adonc cadu par A un cadun meilleur pour le sens.
Tout laisse penser que cette pièce est du tout début du XVIIe siècle. Malgré les altérations de la graphie, nous avons ici une œuvre de la tradition occitane, que l’on comparera aux textes religieux très francisés que nous avons publiés dans les précédents volumes de la collection Al canton (Sévérac, “La science del salut”, vers 1620-1640, et Salles-Curan, “Complainte des âmes du Purgatoire”, XVIIIe s.). Ici au contraire, le vocabulaire est bien occitan. La graphie hésite entre la tradition classique et l’écriture francisée. Si le rédacteur écrit tristaces (français du XVIe s.), il note en -a quelques finales féminines : valrea, clara, portas, penas. S’il écrit en général le o long ou (moult, susour, paour, peccadous, etc.), il le maintient parfois (adonc, molt, resonara, soleilh, etc.).
Résumons le poème : le jour du jugement dernier, le Fils de Dieu reviendra sur terre dans la vallée de Josaphat, cette vallée arrosée par le Cedron près de Jérusalem, qui selon une prophétie de Joël est justement le lieu du Jugement. Ce moment sera annoncé par des signes : la terre entrera en sueur et tremblera de peur. Les pécheurs seront dans les larmes, pour n’avoir pas fait pénitence. Les enfants qui ne sont pas encore nés, crieront grâce dans le ventre de leur mère. Une trompe retentira dans le ciel, le soleil et la lune s’obscurciront, les étoiles cesseront de luire. Un ange appellera au jugement. Certains partiront sans espérance ni réconfort. Tout sera révélé. “Les monts et les vallées seront égaux”, chacun, les bons et les mauvais, les rois eux mêmes, rendra son compte. Dieu viendra dans sa majesté. Les élus, “belz filz”, iront à leur salut. Les autres, les damnés, à leur perte. Que Dieu créateur et fils de Marie, à la fois, nous garde des péchés mortels et des peines de l’enfer !

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Poème en occitan sur le Jugement dernier, vers 1606-1607
© Archives départementales de l'Aveyron (Rodez)

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