Pierre Lacroix, cabretaire
Introduction
Le canton de Saint-Geniez est sans aucun doute, avec ses zones limitrophes, un des berceaux de la cabrette, la cabra comme certains l’appellent encore dans le pays.
Naguère l’instrument se gonflait à la bouche et non pas avec un soufflet, cette habitude ayant été introduite dans le pays par les musiciens et les fabricants émigrés dans la région parisienne.
On relève sur le canton les noms de plusieurs anciens cabretaires : Solèri des Vergnes, Clavel de Rieuzens, tous deux sur la commune d’Aurelle-Verlac ; Baptiste Ayral dit Batiston de la Torre sur la commune de Pomayrols, Auguy dit lo cabretaire del Fran sur la commune de Prades, et bien d’autres encore.
Le plus renommé d’entre-eux se nommait Pierre Lacroix et demeurait à Vieurals, commune d’Aurelle-Verlac. Nous avons rencontré sa fille, Albertine Laporte, qui nous a longuement dressé son portrait.
Pierre Lacroix exerçait plusieurs métiers : menuisier, scieur de long, garde, agriculteur... Il était en outre propriétaire d’un petit bistrot. Il eut onze enfants dont deux furent tués pendant la guerre de 1914-1918.
Pierre Lacroix était le seul à jouer de la cabreta dans sa famille. Un de ses fils, Toèna, essaya bien mais il préférait l’accordéon. Notre cabretaire ne possédait qu’un seul instrument et sa poche était recouverte de velours rouge. Lorsque sa poche devenait poreuse il la remplissait de soupe bien grasse.
Pierre Lacroix mourut le 24 mars 1924, quelques jours après la fête de Born.
Dans une chanson de circonstances composée au début du siècle par une institutrice de Vieurals sur l’air du Se canta, on trouvait les paroles suivantes :
« I a un famús cabretaire
Que l’apèlan Lacroès
El canta pas gaire
Mès sa cabra a bona voès... » (CORDAE)
Ethnotexte
Albertine LAPORTE
née Lacroix en 1894 à Vieurals d'Aurelle-Verlac, décédée en 1993.
Transcription
Occitan
Français
« Papà jogava la cabreta. Anava jogar las nòças. N’i aviá pas plusses de jo(g)aires d’aquel moment. Anava a Lassots, a Senta-Aulària, a Pradas, a Bòrn... Anava jusca-z-a Trelans. Traversava totas las montanhas.
El conflava la cabreta ambe la gòrja. Aquò èra fatiguent ambe la gòrja, tota la nuèch. Eh oui ! Aviá pas los moièns de crompar un conflet e pièi après ne crompèt un. N’i aviá un altre de pichon cabretaire a Riusens e, quand mori(gu)èt, li vendèron lo conflet e alara anava melhor. S’apelava Clavèl aquel d’aquí.
Los parents de papà avián un pichon bistrò a Viurals. I aviá los vailets empr’aquís, de pertot, los montanhòls, e alara lo dimenge venián a la messa e pièi disián a la memè :
“Nos faretz còire un polet o un lapin. Anuèch lo vendrem manjar pièi nos amusarem un pauc.”
E alara venián copar la crosta e lo paure papà de còps èra al lièch, li fasiá pena de se levar. Mès los jun’òmes li atrapavan la cabra, li conflavan e la li portavan al lièch... E alara lor jo(g)ava un pauc al lièch e pièi tot d’un còp se levava. E s’amusavan un tròç de la nuèch aquí. E quand avián finit, comptavan quant aquò fasiá.
“Alara aquò fa tant per cadun.”
E n’i a un qu’amassava los sòuses, los portava a la mamà, et voilà.
Lo ser, quand voliá anar jo(g)ar una nòça, l’arrengava la cabreta. Aviá de cantarèlas e, lo ser, las assajava tot còp per veire se marchavan bien. Aviá totjorn de cantarèlas de resèrva.
Quand anava jo(g)ar, li donavan quaranta sòuses. S’abilhava bien per anar jo(g)ar. Aviá de braves solièrs e un costume tot negre : lo capèl, lo mocador, e la blòda.
Il est allé jouer à Born pour Saint-Blaise. C’était en février et il faisait très froid. Il s’est couché et il ne s’est pas relevé... »
« Papa jouait de la cabrette. Il avait animer les noces. Il n'y en avait plus, des joueurs de cabrette, à ce moment-là. Il allait à Lassouts, à Sainte-Eulalie, à Prades, à Born... Il allait jusqu'à Trélans (48). Il traversait tous les pâturages.
Lui, il gonflait la cabrette à la bouche. C'était fatiguant à la bouche, toute la nuit. Eh oui ! Il n'avait pas les moyens d'acheter un soufflet et puis après il en acheta un. Il y avait un autre petit cabretaire à Rieuzens et, quand il mourut, ils lui vendirent le soufflet et alors c'était mieux. Il s'appelait Clavel celui-là.
Les parents de papa avaient un petit bistrot à Vieurals. Il y avait les domestiques par là, de partout, ceux de la montagne, et alors le dimanche, ils venaient à la messe et puis ils disaient à la mémé :
"Vous nous ferez cuire un poulet ou un lapin. Ce soir nous viendrons manger et puis nous nous amuserons un peu."
Et alors ils venaient casser la croûte et parfois mon paure père était au lit, ça lui coûtait de se lever. Mais les jeunes hommes lui prenaient la cabrette, ils la lui gonflaient et la lui apportaient au lit... Alors ils leur jouaient de la cabrette un peu du lit et puis, tout à coup, il se levait. Et ils s'amusaient une partie de la nuit comme ça. Et quand ils avaient fini, ils comptaient combien ça faisait.
“Alors ça fait tant pour chacun."
L'un d'eux ramassait les sous, il les apportait à ma maman, et voilà.
Le soir, quand il voulait aller jouer pour une noce, il l'arrangeait, la cabrette. Il avait des anches et, le soir, ils les essayait pour voir si elles marchaient bien. Il avait toujours des anches en réserve.
Quand il allait jouer, ils lui donnaient quarante sous. Il s'habillait bien pour aller jouer. Il avait de beaux souliers et un costume tout noir : le chapeau, le foulard et la blouse.
Il est allé jouer à Born pour Saint-Blaise. C’était en février et il faisait très froid. Il s’est couché et il ne s’est pas relevé... »