Vue du Roc de Saint-Jean également appelé Dent de Saint-Jean, septembre 2000
Introduction
Vue du Roc de Saint-Jean également appelé Dent de Saint-Jean, septembre 2000.
Parfois, les rochers remarquables font l’objet de récits étiologiques supposés expliquer leur origine. La forme de certains d’entre eux a inspiré le nom occitan qui leur a été attribué, ainsi que certaines légendes. Lo Ròc de Sant-Joan dans la région de Brusque (Brusqués) est ainsi appelé La Dent de Sant-Joan. Les rochers en forme de fouace ou d’anneau appelés
Las Fogassas en Camarés auraient été des anneaux ayant servi à peser la Terre.
« 1er prix : Mlle Blanche Pestre, née le 30 janvier 1910 à Camarès. Elève de l’école primaire publique de Camarès.
Durant les longues veillées d’hiver, maman m’a souvent raconté des légendes qui se rapportent à certaines curiosités naturelles de notre beau Rouergue et surtout de la région camarésienne. En voici une de Brusque, son pays natal. Elle a pour titre : La dent de Saint-Jean.
On peut voir à Brusque, sur un espèce de promontoire les restes de l’ancien château féodal. A la base de la colline un torrent rapide, le Sanctus, roule ses flots vers le Dourdou. En face se dresse une roche massive ayant la forme d’une dent molaire. Elle a surgi d’une façon tout à fait fantastique, s’il faut en croire la légende que les Bruscassis se transmettent de père en fils.
Le château était, il y a de cela bien longtemps, habité par un méchant seigneur nommé Guy, qui tyrannisait le pays. Les pauvres paysans, n’en pouvant plus supporter, se soulevaient de temps en temps. Hélas ! les révoltes étaient étouffées sous des flots de sang. Certain jour le plus jeune fils du comte Guillot, l’Ardit, chassait seul dans les bois de Cambias. Il poursuivait une troupe de sangliers descendus du Merdélou. Des paysans allèrent à sa rencontre. Ils se jettent sur lui, et, à coups de bâtons, l’étendent raide sur le sol. Puis ils se cachent dans la forêt. Les serviteurs de Guillot, ne le voyant pas revenir, le cherchent et finissent par le découvrir évanoui dans un ronzàs. On le transporte au château ; il revient à la vie, pendant quelques instants, nomme à son père ceux qui l’ont blessé et meurt. Le comte furieux s’écrie : “Oh ! mon fils, tu seras vengé ; je réserve à ces croquants une punition exemplaire”.
Aussitôt ses hommes d’armes vont, par monts et par vaux, pour chercher les paysans. De Rials à Cusses et de Cribas à Mélagues pas un bois n’est laissé de côté. Pendant ce temps les fugitifs se réfugient dans un des nombreux trous pratiqués dans la roche de la montagne et que l’on nomme baumas. A leur approche les éperviers cachés dans la grotte sortent bruyamment avec de grands cris aigus. Résignés à mourir les malheureux s’embrassent une dernière fois. Soudain un frisson d’horreur les saisit… Ils ont entendu un bruit de pas… les soldats du comte sans doute !
“Essayons de lutter, dit Cypre le plus âgé de la troupe. Mieux vaut mourir frappé d’un coup de massue que torturé au fond d’un noir cachot”. Cypre, Jacquou, Broutou, Menjou et quelques autres dont je ne me rappelle plus le nom, s’arment de pierres et bravement attendent l’assaillant. Tout à coup à l’entrée de la grotte, ils voient apparaître, non pas les soldats du farouche Guy, mais un homme grand et robuste au visage calme et doux. Il est vêtu d’une ample robe de bure, les mains appuyées sur un gros bâton. Ses pieds nus ensanglantés dénotent une longue course à travers les broussailles et les épines. Les paysans sont fort surpris. “Qui êtes-vous ?”, s’écrie Cypre. “Je suis l’ermite Jean qui vit dans un des ravins de Mounès. – Méfions-nous de lui.”, murmurent les fugitifs. L’ermite continue : “Vous avez l’air bien las, pauvres gens. – A oui ! depuis deux jours, nous marchons, nous fuyons, sans avoir mangé.” L’inconnu s’avance dans la grotte et tirant d’un petit sac quelques racines et un peu de miel sauvage. Il partage avec eux son modeste repas. La confiance en cet homme naît dans le cœur des paysans, à mesure que leurs forces grandissent. En quelques mots ils le mettent au courant de ce qu’ils ont fait et lui disent pourquoi ils sont dans les bois. “Sauvez-nous.”, implorent-ils. “Que puis-je faire pour vous, je ne suis qu’un faible mortel.” Puis tout à coup : “Enfin si Dieu m’aide.” Jean se met à la tête des paysans et à leur grande surprise les mène tout droit vers le château. La nouvelle se répand dans Brusque que les meurtriers de Guillot arrivent conduits par un étranger qui les protège. Le seigneur est blême de colère ; il va lui-même à leur rencontre suivi de ses gens-d’armes. Il a l’air si terrible que Jean dit aux fugitifs : “Cachez-vous dans ces troncs de vieux châtaigniers !” Puis il court au tyran et lui offre sa vie pour le rachat de ces malheureux. Mais le comte outré de l’audace de cet inconnu lui dit : “Je n’ai que faire de ta vie !” Et comme Jean tombe à ses genoux : “Chassez cet importun, que mes chiens le poursuivent et que mes valets l’exterminent !” Pauvre ermite ! Pauvre Jean ! Traqué par les hommes d’armes, il arrive exténué sur le pic qui est en face du château. Au-dessous de ce rocher se trouve la gorge où coule le torrent qui s’est appelé depuis le Sanctus “le Saint” et qui sépare les deux montagnes. Jean se sent perdu. Il se recueille une dernière fois, invoque le Seigneur… le voilà au bord de l’abîme. A ce moment un des poursuivants le blesse cruellement à la joue ; une dent tombe sur le roc.
Soudain, le tonnerre gronde, la terre semble embrasée sous le feu des éclairs ; les bois sombres paraissent flamboyer ; le château est la proie des flammes. Et, ô miracle ! sur le pic où Jean a été vu pour la dernière fois, se dresse un grand rocher qui a exactement la forme d’une dent molaire comme celle qui a été arrachée à l’ermite.
Et ce qui prouve que mon histoire est bien vraie c’est que ce rocher borne toujours l’horizon du château du côté du Midi et qu’il s’appelle “la Dent de St-Jean” !
Qu’advint-il des personnages ? On prétend que Jean se retira dans une forêt des gorges du Castanet où il mourut en odeur de sainteté et que le diable emporta Guy et toute sa famille. Les Brusquois, moins malheureux sous un autre seigneur, firent chaque année, en souvenir de Jean, une belle janada. Mais peut-être ne savez-vous pas ce qu’est une janada ? C’est le beau feu de joie qui s’élève sur chacune de nos montagnes le soir du 24 juin. Et certes le plus beau, le plus haut est bien celui que les Brusquois font au sommet del Ròc de la Dent ! » (Extrait de “Concours scolaire de 1924”, de Charles Valat, dans Bulletin de la Solidarité aveyronnaise, n° 56, mai 1925)
Lo Ròc o la Dent de Sent-Joan, a Brusca, setembre de 2000.